Carpe diem

Mardi est dans deux jours, profitons tant qu’on peut
Avant la pluie aussi, il y a le beau temps
La journée s’annonce belle, ciel bleu soleil brillant
Dès qu’on s’est mis en marche sur le sol rocailleux

D’une démarche vive tout en restant sereine
Une robe très sombre, de magnifiques bois
Il tourne à peine la tête en passant devant moi
Un autre grand solitaire, sa majesté le renne

Tout ému du spectacle, je continue ma route
Autour du Snohetta couronné de glaciers
D’où il tire son nom, qui font toute sa beauté
Ont creusé ses vallées et façonné sa voûte

Ils semblent bien fragiles, on dirait des enfants
Qui essayent des chaussures bien trop grandes pour eux
L’écrin est bien trop large, on a pitié pour eux
Dans moins d’un demi siècle ils auront fait leur temps

Quelqu’un près d’un refuge m’indique que dans l’alpage
Pas loin en contrebas paîssent des bœufs musqués
Cousins de Chewbacca mais j’ai beau les chercher
Les hirsutes bovins ont quitté les parages

Au diable ces poilus, je poursuis mon chemin
Dans un monde de silence, pas un bourdonnement
De très rares oiseaux. Seul parfois un torrent
Descendant d’un glacier s’entend dans le lointain

La Snohetta
Le mieux qu’a pu faire mon zoom. La tache noire c’est le renne

Réfugié météorologique

Les anciens, pour connaître le temps du lendemain
Avaient bien des méthodes, toutes aussi efficaces
Que de lancer un dé, tirer à pile ou face
En matière météo, sorciers et devins

Étaient très peu crédibles, ce qui n’est pas le cas
Des météorologues, toujours plutôt fiables
On a bien intérêt à prendre l’imperméable
Lorsque cette profession une averse prévoit

Il faut bien avouer que c’est plutôt pratique
C’est mieux que la grenouille ou bien les rhumatismes
Or depuis hier m’étreint un profond pessimisme
Ils annoncent pour mardi, du Sud jusqu’à l’Arctique

Une semaine de drache qui trempe jusqu’à l’os
Cette perspective me glace, je comptais écumer
Les sentiers de ce parc où sont les bœufs musqués
Galérer sous la pluie, trembler comme un bolosse,

Glisser sur les rochers, patauger dans la boue
Ça va pour une journée, deux à l’extrême limite
Mais sept jours d’affilée et peut-être même huit
Ce sont des conditions qui peuvent me rendre fou

Je vais me réfugier dans une ville sous un toit
Oublier les montagnes, faire un tout petit break
Prendre des douches chaudes, avoir les pieds au sec
Et lorsque je pourrai, repartir dans les bois

Le brouillard, en attendant la pluie

J’en bave… mais il y a des compensations !

Il est des soirs comme ça dans la vie du campeur
Dès qu’il est arrivé à son emplacement
Il tâche de monter le plus rapidement
Sa tente sans qu’elle se trempe (il pleut avec ardeur)

Tout en la retenant pour ne pas qu’elle s’envole
Pour ça de grosses pierres seront un sûr allié
Mais avant de les mettre on utilise les pieds
Si l’on rate son coup c’est l’igloo qui décolle

Après cette brève séance il faut faire le constat
La vie à l’extérieur ce n’est pas pour ce soir
Faire marcher le réchaud ? Il n’y a pas d’espoir
Avec un tel zéphyr l’eau ne chauffera pas

Encore une fois ce soir le repas sera froid.
À l’abri sous la tente – sept heures à peine passées !
La soirée sera longue on doit pour s’occuper
Lire et relire la carte jusqu’à l’ennui parfois.

La nuit sous la tempête même dedans c’est glaciaire
Le seul lieu un peu tiède est au fond du duvet
On a beau y plonger on ressent un filet
Qui coule le long du cou d’un air presque polaire

Au matin la pluie cesse, le vent déferle de l’ouest
Pour replier la tente la même scène reprend
Je bloque le double toit bien fort entre les dents
Tout en usant des mains pour enrouler le reste

Mais progressivement en baissant d’altitude
Le temps devient plus calme on goûte à cette douceur
Qu’on n’espérait même pas seulement voilà une heure
On plonge avec délice dans la grande solitude

Quand soudain à l’arrière d’un bosquet de bouleaux
La fière silhouette de deux jeunes élans
Qui broutent des arbustes à quelques pas seulement
Ils me remarquent vite et filent au grand galop

Leur mère gigantesque dans le talus plus bas
Semble moins apeurée mais à trop m’approcher
Elle préfère disparaître sans bruit dans la forêt
Délicieuse rencontre que je n’oublierai pas

Soudain ce froid arctique et ces pluies démentielles
Deviennent accessoires car ce sont ces instants
Qui font tout accepter. Les moments moins marrants
Sont le prix à payer pour ces cadeaux du ciel

C’est dans ce bois que j’ai vu les élans

Petit rappel de bon aloi

Mais qui est ce marcheur qui titube et trébuche
Et descend vers le lac au prix d’un gros effort
Son épuisement est tel qu’il tremble de tout son corps
Ses mollets sont fourbus ses cuisses sont des bûches

Chaque pas est une épreuve, il a peur de plonger
Et de se rompre les os sur un bloc de granite
Ne serait-ce pas Florent, lui qui allait si vite
Et fier comme Artaban le sac bien trop chargé

En fin d’après midi voulut faire la dernière
Ascension d’un sommet alors que ses souliers
Parcouraient la montagne depuis potron-minet
Retiens bien la leçon, cesse de faire le fier

Ne cherche pas l’exploit mais plutôt le plaisir
Tu es parti pour ça, veille à t’en souvenir

Le sommet du Hogronden, celui de ces vers

Querelle au Valhalla

Après une journée longue et éreintante
Sous un soleil de plomb rare sous ces latitudes
S’étant perdu parfois et pris de lassitude
Quatre jours d’autonomie la masse est conséquente

Après cette journée donc, c’est vraiment capital
Pour y planter sa tente de trouver un gazon
Au bord d’une rivière, à plus forte raison
Que je me sens très crade. Cet endroit idéal

Jugez plutôt :au sein du plus grandiose écrin
De verdure, de fraîcheur, entouré de sommets
Aux courbes arrondies, sans agressivité
Et pour ne rien gâcher, pas le moindre crachin

Au contraire le soleil apporte une douce chaleur.
Linge et marcheur lavés, pâtes rapides dégustées
On se sent détendu, on n’a qu’à profiter
Je crois qu’à ce moment on touche le bonheur.

La vue d’une telle quiétude en a irrité un,
Le dieu des marécages qui voit provocation
Dans cette alacrité, cette plaisante inaction
Ainsi c’est en fureur qu’il s’adresse à Odin

Lui décrit le tableau, cette scène bucolique
« d’autres sont au boulot, celui-ci ne fait rien
Au sein de mon domaine il est bien trop serein
Laisse moi envoyer mes cohortes de moustiques »

Aussitôt des paluds, de dessous les buissons
Apparaissent des milliers de ces furieux vibreurs
Ils forment des nuages compacts de vils piqueurs
Et fondent sur l’intrus, lui font entendre raison

Odin voyant la scène trouve qu’il exagère.
À tout bien réfléchir c’est un peu trop cruel
C’est trop durement payé pour un péché véniel
Il décide discrètement de clore cette affaire

Envoie une légère brise et soudain les moustiques
Ne peuvent plus voler, rejoignent leurs abris
Et sont cloués au sol, leur dieu est en furie
La soirée se finit sans insectes qui piquent

PS:la brise est retombée et j’ai dû finir la dernière strophe sous la tente !

Camping à 1450m un peu venteux

Clap de fin… provisoire

Alors que mes bâtons frappent le macadam
Que je dois m’écarter pour faire place aux voitures
J’ai  laissé tout là-haut glaciers et pâtures
Pour goûter quelques temps de la ville le ramdam

Il faut faire un bilan de cette première rando
De onze jours au sein du Hardangervidda.
Au Nord un glacier émerge de la toundra
Énorme dame blanche au-dessus du plateau

La toundra parlons-en c’est un désert arctique
Des buissons rabougris pour unique forêt
Des marécages immenses où s’enfonce le pied
Quand la bise s’arrête attaquent les moustiques

Ils forment de gros nuages et n’ont aucune peur
Des meilleurs répulsifs. C’est à l’Ouest que l’on trouve
Un massif granitique qui l’endurance éprouve
Mais offre de belles vues à notre humble marcheur

Météo montagnarde avec de grosses pluies
Rares heureusement et puis toujours du vent
La glace sur la tente part vite en frottant
Hélas pas d’animaux à part quelques perdrix

Une dizaine d’heures j’ai marché tous les jours
Jusqu’ici tout va bien à part les courbatures
Je n’ai pas de pépin qui gâche l’aventure
Je prends du plaisir et le sac n’est pas trop lourd

La beauté de l’endroit est-elle surpassable ?
Mes futures balades seront-elles en regard
Une pâle imitation ? Si je veux le savoir
Il faut aller chercher d’autres lieux mémorables

Le train train quotidien

Ami lecteur, après avoir dû supporter
Depuis vingt jours l’étalage de mes sentiments
Je sais qu’au fond de toi tu attends ce moment
Que j’ai, j’admets, trop longtemps différé.

Tu veux un compte-rendu précis de mes journées
Mettons le lyrisme de côté pour un temps
Racontons en détail très minutieusement
Ce qu’est la vie sous tente, ce qu’est une randonnée.

Un lever à six heures sous un soleil radieux
La tente est presque sèche les affaires vite pliées
J’engloutis mes flocons et une tartine sucrée
Ainsi commence cette journée bénie des dieux

À sept heures j’enjambe la première passerelle
Trois moutons bêlent en vain puis filent à perdre haleine
Les moutons vont par trois c’est presque un théorème
Deux petits et un gros, c’est ce dernier qui bêle.

Des bouleaux et des saules à hauteur de genoux
Des mousses et des lichens complètent ce tapis
Qui sur ce haut plateau s’étend à l’infini
Pourtant pas après pas j’en ai bien vu le bout.

Un toit recouvert d’herbe c’est une vieille bergerie
Bel endroit pour la pause je prends quelques tartines
Puis avec mon stylo sur une feuille la dessine
Me voilà regonflé pour tout l’après-midi

En haut d’une rude pente déferlent des nuages
Annonciateurs de pluie (c’est qu’il fallait stopper
Cette insolente chance, trois semaines sans KWay)
Par bonheur cette averse ne fait qu’un court passage

Au bout d’un long pierrier je rencontre un pêcheur
Seule personne vue de toute la journée
Il guette un gros poisson je monte sur le névé
Et puis il faut franchir un torrent en fureur

On a aménagé une sorte de gué
Pas moyen de passer sans tremper les chaussures
Je traverse en sandales et ressens la morsure
Intense sur mes pieds de cette eau de glacier

Cette épreuve passée, voici la récompense !
Un lac pour moi tout seul sous un pic enneigé
Et un gazon bien plat pour y bivouaquer
Je n’en reviens pas d’avoir autant de chance

Dans cette eau bien fraîche il faut faire la lessive
Et se débarbouiller vite pour ne pas geler
Heureusement il fait doux ça aide à supporter
Néanmoins je témoigne la sensation est vive

Le dîner est frugal c’est pas la grande cuisine
Du pain et du fromage au dessert une datte
Demain pour varier je me ferai des pâtes
La bouffe dans le grand Nord ça manque de vitamines

Dans ces contrées nordiques la nuit est lumineuse
Pas la peine d’espérer regarder les étoiles
Et puis il fait pas chaud je rentre sous la toile
Avant de m’endormir quelques rimes hasardeuses

Le premier pas

Il y a des années, c’était dans l’ancien monde
Hollande présidait, Ayrault le secondait
Roses filles et bleus garçons, la droite défilait
Et le maire de Londres avait une tignasse blonde

Depuis plus de vingt ans le même quotidien
Et l’insidieuse usure d’abord de petites rides
Colonisent le front avec une hâte stupide
Et les cheveux blancs croissent avec le même entrain

Ce dos que je pensais être un fidèle soutien
Déjà m’a prévenu que rien n’était acquis
Trop tôt viendra le temps de se passer de lui
Si tu ne réalises pas tes rêves dès demain

Ces rêves seront regrets dans un proche avenir
Quel est le tien mon vieux ? Vivre la vie sauvage
Va donc par les forêts les champs et les bocages
Et les âpres montagnes tant que tu peux courir.

Il a fallu six ans (toujours cette illusion
Qu’on aura tout le temps) pour enfin m’envoler
Laisser derrière ma vie et simplement marcher
Les sentiers solitaires vers le septentrion.

Au sortir de la gare dans un lieu désertique
Je vis mon premier pas bien chargé d’émotions
Il ouvre grand la porte de cette expédition
Me propulse dans le cœur de ma rando épique

Il ne me déçoit pas, bien ferme sur le sol
Le train est reparti, l’endroit est silencieux
Sur le gravier ma grolle fait un bruit délicieux
Comme Armstrong sur la Lune je mime mon envol.

Puisses-tu, pas héroïque, croître et multiplier
Être le précurseur de bien d’autres encore
Et ouvrir mon chemin vers l’Ouest ou vers le Nord
Aujourd’hui l’euphorie a complètement gagné !

Le voilà ce pays d’où il y a deux siècles
A surgi ce jeune homme astucieux commerçant
Fondant une lignée au destin florissant
Sur les quais de ce port je pense à cet ancêtre

C’est ici qu’à mon tour je pars à l’aventure
Je n’ai pas l’intention de laisser descendance !
De ce point de vue là j’ai bien servi la France
Cet honneur est pour d’autres, je cherche la nature

Demain sur les plateaux dans la toundra chétive
Pour seule compagnie le vent et les corbeaux
Devant moi trois cents jours seul avec les oiseaux
Vivre ma liberté sera mon leitmotiv